dimanche 6 septembre 2015

Pour mon petit frére grand joueur d'Echecs

I
Dans leur grave retrait, les deux joueurs
guident leurs lentes pièces. L’échiquier
jusqu’à l’aube les retient prisonniers,
espace où se haïssent deux couleurs.

Irradiation de magiques rigueurs,
les formes : tour homérique, léger
cheval, reine en armes, roi, le dernier,
l’oblique fou et les pions agresseurs.

Quand les joueurs se seront retirés,
et quand le temps les aura consumés,
le rite, alors, ne sera pas fini.

C’est à l’orient qu’a pris feu cette guerre
dont le théâtre est aujourd’hui la terre.
Comme l’autre, ce jeu est infini.

.
II

Roi faible, torve fou, et acharnée,
la reine, tour directe et pion malin
sur le noir et le blanc de leur chemin
cherchent et se livrent un combat concerté.

Ils ne connaissent pas la primauté
de la main qui gouverne leur destin,
ils ignorent qu’une rigueur sans frein
commande leur journée, leur liberté.

Le joueur lui aussi est prisonnier
(Omar l’a dit) d’un tout autre échiquier
où blancs sont les jours et noires les nuits.

Dieu pousse le joueur et lui, la dame,
quel dieu derrière Dieu, tisse la trame :
poussière et temps et songe et agonies ?

Jorge Luís Borges, extrait de La proximité de la mer, Une anthologie de 99 poèmes nrf Gallimard, 2010 – Trad. Jacques Ancet
*
Ajedrez
I
En su grave rincón, los jugadores
rigen las lentas piezas. El tablero
los demora hasta el alba en su severo
ámbito en que se odian dos colores.
Adentro irradian mágicos rigores
las formas: torre homérica, ligero
caballo, armada reina, rey postrero,
oblicuo alfil y peones agresores.
Cuando los jugadores se hayan ido,
cuando el tiempo los haya consumido,
ciertamente no habrá cesado el rito.
En el Oriente se encendió esta guerra
cuyo anfiteatro es hoy toda la Tierra.
Como el otro, este juego es infinito.
II
Tenue rey, sesgo alfil, encarnizada
reina, torre directa y peón ladino
sobre lo negro y blanco del camino
buscan y libran su batalla armada.
No saben que la mano señalada
del jugador gobierna su destino,
no saben que un rigor adamantino
sujeta su albedrío y su jornada.
También el jugador es prisionero
(la sentencia es de Omar) de otro tablero
de negras noches y de blancos días.
Dios mueve al jugador, y éste, la pieza.
¿Qué Dios detrás de Dios la trama empieza
de polvo y tiempo y sueño y agonía?
.
Jorge Luís Borges, incluido en El hacedor (1960)

8 commentaires:

  1. Merci, je ne connaissais pas ce texte pourtant puissant!

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  2. Je découvre ce texte de Borges c'est d'une grande puissance et hélas si réel encore.
    Tu passes quand tu peux mais prend le temps pour toi le rôle est plus important Frankie
    voilà une photo qui va plaire à Mimi
    gros bisous

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  3. C'est un très beau texte que je découvre.
    Merci pour le clin d'œil ma Frankie.
    Merci aussi pour le chat et pour ta photo "joie de vivre".
    Gros bisous

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  4. Ah!Borges, que m'ont fait connaitre il y a longtemps mes amis argentins. Travaille, Cocotte, et dis nous quand nous pourrons t'écouter !

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  5. Un bien beau texte... Merci ! Et que ta semaine d'enregistrement soit riche !!!

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  6. Bien belle lecture merci. Très jolie petite écuyère.

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  7. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  8. Merci pour le texte. Je sors un peu le nez de mes cartons de livres (inépuisables ...) après mon déménagement à Tarbes et je te rends une petite visite en attendant l'inspiration ! Amicales bises.

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