lundi 14 décembre 2015

Aprés une panne d'encre



A chaque petite fée ....




De Françoise Pain

Parenthèses de Sang 2 et 3

Ma boussole,

Ma chère Fanny, partie là –haut 6 mois avant la manif des 4 garrotés par Franco. Je te croyais heureuse dans ton Ariège, ton  Saint Girons avec tes juments,  étalons et ton baroudeur d’homme……. 

Nous remontions la rue Sainte Catherine, je vois ma Boussole. Ta silhouette, je coure,  je te dépasse, je te saute au cou, et j’entends : «  vous confondez, je ne suis pas Fanny, sa sœur, simplement. Vous êtes Odette,….. Nous vous cherchons depuis six mois ». Nous n’étions pas loin de ce photomaton où nous avions fait des photos où nous avions  écrit derrière : « à la vie à la mort ». Ta sœur avait en plus ta voix. Nous sommes allées nous assoir sur les marches de la synagogue. Nous avons partagé ce chagrin. Il a duré 1 an… Tous tes amis quand nous nous apercevions, nous nous fuyions pour ne pas t’évoquer tant nous devions « fontaines ».  Rien que de nous voir, c’était toi sur le grand écran du Max  Linder.

Chaque fois que je revenais de la Rochelle, après la traversée de la Dordogne sur  le pont de Saint André de Cuzac, je m’arrêtais à l’arbre que tu avais embrassé, qui avait sucé ton sang jusqu’à la dernière goutte, avant l’arrivée des secours. Ma Boussole, j’ai appris plus tard ce qui était entre ton baroudeur des cœurs, la jeune cavalière,  et son refus de te faire un enfant. En Août quand nous nous étions vu, tu n’avais pas trouvé opportun de parler de cela avec moi. Nous avions fait une virée sur la ligne des crêtes avec tes chevaux. Nous avions parlé de la cueillette des myrtilles, tu m’en avais donné un pot.  Je m’en achète souvent  pour revivre ce dernier moment de « nous ».

 L’unanimité de tous tes autres amis sur ton désir d’en finir.  Ton endormissement au volant, tu rentrais  à votre haras au dessus de Saint Girons, tu savais, tu savais que ta couche avait été soigneusement pris d’assaut d’un autre amour. Nous devenons vite vieilles pour certains hommes : 25 ans ! 

Ma Boussole, tu es toujours là en mon être, cette amitié est insoluble même dans le voyage dans  l’au-delà. Combien de fois dans les situations extrêmes, de joies comme de peines, je t’ai appelée à venir prés de moi, juste te parler. Il y a toujours un moment où une phrase que je formule, ne m’appartient pas. Elle m’offre un inattendu, que j’explore tel un moine japonais dans une méditation créant  après des haïkus.  Je cueille les 5 sens qui m’environnent, le 6éme m’est offert, c’est le tien. C’est la voie à suivre bien souvent. 

Tu m’as appris à voir la Face Nord de mon fiancé. J’ignorais que le tien était pire que le mien. Il a eu ta peau, je ne l’ai pas vu. Ta réserve m’a trompée. Comment pouvais- je m’imaginer qu’une femme si rigoureuse dans son regard sur l’autre,  ne voyait pas pour elle. C’est  le danger avec  une « naïve bêtasse ». Depuis Petite, mon désir est d’être intelligente, depuis cette myopie de ce dernier voyage à Saint Girons, ce désir s’est renforcé pour toujours.

Aujourd’hui,  je suis en deuil de ma grande amie Ecriture. Et comme tu peux le constater, je suis défaite de partout. Mes sutures craquent. Cette phrase : «  S’il y a quelqu’un qui doit écrire ici de nous, c’est toi. » Tu me veillais sur mon premier mémoire : « Fêtes et sociétés ». Avec  mon nouveau copain, vous aviez organisé une garde de nuit pour lui, pour  toi c’était  la journée. Aller jusqu’au bout du mémoire. Quelle épreuve ! Une nuit pour avoir le courage de poser un mot. Comme il en avait fallu du temps. Je n’ai jamais lâché cette épreuve, cette activité. Elle m’a offert de grands moments de joie,  des douleurs, de moqueries violentes, des cabales. Ecrire et le  partager ne sont pas choses aisées. Tu es arrivée au bout de mon porte plume.  Et en faisant la vaisselle, une image s’est imposée. Elle est celle d’un vieux « matatador » . Après avoir fait des muletas incertaines, il ne peut donner l’estocade à son taureau, il se retrouve pousser par lui sur les bords de l’arène. Ses hommes sont venus achever  le taureau à sa place. La foule a hurlé sur le matador. C’était ma première corrida. Les aficionados, mes voisins,  me commentaient les actions pour que je comprenne mieux ce spectacle, ils  me dirent que c’était un très grand matador. A cette époque, je commençais ma carrière de comédienne à Paris,  et je me suis dit devant ce digne matador qu’un jour viendrait  cette panique tétanisante.  Et ce serait la fin.

J’ai noyé avec un texte en art du fragment, d’une densité inaudible, happée par un état d’émotions non maitrisées, un groupe de lecteurs-auteurs ainsi que la Dame à l’oreille absolue qui nous guide en progression de qualité dans nos  arabesques  d’encre pour nos romans respectifs. Cette phrase  « tu nous a noyés » et l’image interne m’ont  envahie, obstruée tel le port de Marseille par le bateau la Sardine. Je n’avais plus accès à la mise en distance. René Char dit : « les pluies sauvages favorisent  les passants profonds ».
Où est la battante, la Rebelle, cette femme capable après la première de son spectacle,  de se remettre à l’écriture d’un passage  car son public a été perdu…

Je sens sur mon visage l’emprunte de tes mains comme si j’étais une marionnette,  tu m’actives  les mâchoires  et tu me fais prononcer : « l’écriture n’a pas encore dit toute son histoire avec toi, Odette ». J’y bois chaque labiale prononcée, j’aspire chaque voyelle comme une odeur, -l’odeur notre GPS à notre vie profonde- . Les larmes évidemment prennent leur « Tutus roses », leurs ballerines et nous offrent des glissades artistiques  sur mes joues poupines de cortisones.

Enfin les mots de la Dame à l’oreille absolue prennent place et agissent en moi
« Laisse ce texte pour le moment, …,   sors vite de ton intranquilité…. »
Merci ma chère Boussole Fanny, reste quelques jours, plus gaie je vais être, je sens naitre dans mes combes, un sourire.

 Odette












6 commentaires:

  1. un magnifique texte...de sang et de larmes..et plus!

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  2. Mélancolie, tristesse avec en filigrane, de l'espoir........
    Très fort.
    Je t'embrasse ma Frankie.

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  4. C'est un texte qui en dit beaucoup triste mais avec de l'espoir, bravo.

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  5. Brrr... quel chagrin presque inconsolable, jusqu'à ce que l'espérance revienne. Un texte très fort!

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  6. PS - Merci pour cette belle photo de la grande dame de la littérature! Très émouvant!

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