vendredi 24 septembre 2010

le conte du vendredi



frankie la conteuse

Le lièvre et la renarde

Il était une fois, là-haut, dans le grand Nord, un lièvre gris à la queue blanche et une renarde au poil roux. Quand leur histoire vient au monde, l’hiver et ses vents affamés dévorent les dernières herbes. « Il est urgent, se dit le lièvre (il grelotte derrière un roc) que je me construise un abri ». Feuilles mortes, écorces, bâtons, il se bâtit une maison. La renarde passe par là. Elle lui demande, goguenarde :

- Hé, que fais-tu, petit poilu ?

- Une cabane.

- Elle est minable ! Regarde, là-bas, mon palais. Murailles taillées dans la glace, voûte blanche, cristal partout. On appelle ça un igloo. C’est autre chose, excuse-moi, que ta masure de moujik.

Elle s’en va, fière, la queue haute.



Le printemps vient. Ciel bleu, dégel. L’igloo s’égoutte. Il pleut dedans. Le plafond fatigue. Il s’effondre. La renarde court chez le lièvre à travers le pré renaissant. Elle frappe à la porte. Personne. Elle entre, s’enferme au verrou, se pelotonne près du poêle, soupire un grand coup et s’endort. Le lièvre revient. Porte close. Par une fente il jette un œil.

- Ouvre, renarde, j’ai sommeil.

- Moi aussi. Laisse-moi tranquille.

- Renarde, hé, ho, tu es chez moi !

- Tu m’agaces, petit poilu, tu m’irrites, tu m’exaspères. Ah, ne me pousse pas à bout sinon, foi de renarde rousse, je fais un malheur sibérien !

« Un malheur sibérien ? Mais c’est épouvantable ! », se dit le lièvre. Il en gémit. Regard perdu, désolation, geste d’impuissance fatale. Il s’en va, l’échine courbée.



Il rencontre un loup.

- Salut, lièvre. Quelle tristesse dans ton œil ! Mon pauvre ami, tu es en deuil ?

- Pire, grand loup, je suis en ruine. La renarde (que Dieu la mange !) s’est enfermée dans ma maison. Où dormir ? Sur le paillasson ? Je n’ai plus rien, ni feu ni toit.

- Quel sans-gêne ! C’est un scandale ! Suis-moi, frérot, et tu vas voir ce que je fais, moi, des nuisibles qui se chauffent indûment le poil au poêle des honnêtes gens.

L’enjambée ferme, ils s’en reviennent. Le loup, à grosse voix :

- Renarde, cette maison n’est pas à toi. Je t’ordonne donc de sortir. Les pattes en l’air, pas d’entourloupe ! Je te préviens, tu es cernée !

L’autre, dedans :

- Non mais je rêve ! Dis donc, bouffon, tu veux mourir ? Crénom, je compte jusqu’à dix, après quoi j’ouvre cette porte et par le pif de saint Morbiole je fais un malheur sibérien !

- Houlà, elle est vraiment fâchée, dit le loup, l’œil déjà parti et la voix soudain enrouée. Bon. Eh bien, lièvre, bonne chance. Je suis en retard, faut que j’aille. J’ai un rendez-vous important.

Il s’enfuit, la queue sous le ventre. Les yeux du lièvre abandonné s’emplissent de larmes. Il renifle. Passe un ours brun.

- Pourquoi tu pleures ? Pauvre lapin, qu’est-ce qu’on t’a fait ?

- Lièvre, répond l’interpellé. Je ne suis pas lapin, mais lièvre. Ce qu’on m’a fait ? Regarde-moi. Tu as devant toi la victime du plus odieux des attentats.

Il conte en détail. L’ours écoute. Il s’insurge.

- Mais sacrebleu, c’est une atteinte au droit des bêtes ! Intolérable ! Attends un peu. Elle va m’entendre, ta renarde !

L’ours se plante droit sur le seuil. Il cherche ses mots. Il les trouve.

- Nous allons nous plaindre en haut lieu, alerter les autorités, faire intervenir, s’il le faut, l’armée des marchands de fourrure. A ta place, j’aurais très peur !

La renarde, lasse d’abord, puis énervée, puis hystérique :

- Mais enfin, que me voulez-vous ? Non mais c’est agaçant, à force ! C’est la guerre que vous voulez ? C’est ça ? D’accord, mes gros loulous. Je sors mon malheur sibérien !

- Là, c’est trop, dit l’ours. On se calme.

Et au lièvre :

- Bon, je m’en vais. Le mieux, c’est de négocier. A toi de jouer, mon lapin. Après tout, hein, c’est ta cabane.

Il fait ce qu’il a dit. Il part.



Vient un coq. Il désigne l’ours. Il demande :

- Où court-il si vite ?

Le lièvre le met au parfum.

- Dans ta maison ? Une renarde ? Un malheur sibérien ? C’est quoi ?

- Je l’ignore mais c’est terrible.

- On va bien voir, répond le coq. Renarde, sors !

- Non, non et non ! Et si tu insistes, prends garde !

- Tu sors ton malheur sibérien ?

- Exactement.

- Très bien, j’attends.

- Tu n’as pas peur ?

- Non, pas du tout. J’ai un bec et des griffes dures. Je t’étriperai proprement et je te crèverai les yeux.

- Tu ferais ça ?

- Quoi, tu en doutes ?

Silence. Enfin la porte s’ouvre. Apparaissent un œil, un museau.

- Bon, j’ai besoin de prendre l’air. Bonjour, bonsoir, dit la renarde.

Elle sort, elle salue, elle s’éloigne. Revoilà le lièvre chez lui. Il dit au coq :

- Au fond, mon affaire était simple. Il suffisait d’oser, c’est tout.

- Il suffisait, répond le coq.

Ils rient, ils dînent, ils boivent sec, ils festoient jusqu’au point du jour et décident de vivre ensemble. Le conte est fini. Hommes, femmes, bonne vie sur terre pour tous.

(Henri Gougaud, Le livre des chemins)

5 commentaires:

  1. Bonjour, Frankie Pain.
    J'aime beaucoup cette fable...qui tient en haleine et qui ne manque pas de morale, évidemment.
    Et puis, en transposant..rien n'est guère faltteur pour l'^étre humain...
    Merci beaucoup.
    Je t'embrasse.

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  2. Ah là là, Frankie! J'ai adoré ton conte. Il fait penser aux fables de La Fontaine. Bravo pour cette très belle narration et merci pour le partage:o)

    ***
    Gros bisous et une très belle fin de semaine*******

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  3. Lorsque mon fils était enfant je n'ai jamais pu le frapper...
    J'étais capable de me fâcher sévèrement, de punir et de tenir la punition à son terme, de menacer, mais de frapper, jamais !
    Jusqu'à ce qu'il ait près de six ans, la pire menace pour lui était la suivante :
    " si tu n'arrêtes pas tout de suite je vais te mettre les fesses au bas du dos !".
    cela marchait à tout coup, jusqu'au jour où il a compris la menace !..

    Merci de ce beau conte, il a rappelé à mon grand fils cette anecdote et les paroles du sage qui disait "mieux vaut passer pour un ignorant une fois, que de le rester toute sa vie" que je lui ai délivrées par la suite !

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  4. Ex-maîtresse d'école je ne me lasse pas des contes... MERCI FRANKIE.

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