jeudi 2 octobre 2014

la dame et ses anguilles . première partie



Après un an bien tapé de "dormissement" dans un fût en chêne voici secoué de correction un texte que vous reconnaitrez vous fûtes nombreux à le  lire. Savourez le à nouveau ,et, surtout ne vous privez pas de vos commentaires : toujours utiles à la plume volage de maîtresse, je suis sa petite chienne Leica .Une shiba inu pour les connaisseuses de la blogosphére.

 Leïca
 

La Dame et ses anguilles 
Samuel Beckett « Nous dérivions parmi les roseaux
 et la barque s'est coincée.
 Comme ils se pliaient, avec un soupir, 
devant la proue !        (Pause)
 Je me suis coulé sur elle,
 mon visage dans ses seins et ma main sur elle.
 Nous restions là, couchés, sans remuer.
 Mais, sous nous, tout remuait, doucement, 
de haut en bas, et d'un côté à l'autre.    Pause..»
1
Dans la Gabarre, ils avaient  descendu  le cours de la Dordogne. Ils n’étaient qu’effluves de silence. Ils avaient largué le surplus de leurs anciens conforts. Le sentiment de sécurité pouvait voir venir. Vivre simple,  adaptés à la  phrase du jour. « Éteins la lumière, pas tes songes ».Sébastian n’était pas relié à son Smartphone. Pilar avait le vieux portable : pour les appels élémentaires. Ils étaient dans le tourbillon d’un décalage horaire permanent. Les lignes de pêche étaient leur manière de sonder le temps. Le temps du grignotage de leurs appâts, le temps du bouchon rouge flottant, et par alternance  gobé par la rivière.
2
Pilar avait confectionné l’épuisette à anguilles. Elle avait cousu au creux du parapluie de golfe  - en son centre  quand il est ouvert- une manche d’un  costume râpé de Sébastian pour le  réservoir à anguilles. Le Capitaine de la gabare s’était arrêté prés d’une terre fraichement labourée pour la récolte des vers de terre  pour la future pelote  à vermée*1.
C’était une saison bénie pour leur pêche : les anguilles  remontaient la rivière pour pondre. Elles allaient être dodues, charnues. Pilar s’imaginait prendre un bain avec elles. Bâillonnées quand même.  Un bain avec elles, être chaloupée dans leur « gluance ». Se griser de leur ondulation. S’effrayer peut-être?
Pilar, son désir aussi, était d’offrir ce bain, ces sensations là à son  quinquagénaire Sébastian. Pure spéculation, Pilar n’avait fait  que se l’imaginer.
*1  la pelote à vermée : faites avec des vers de terre enfilés  en pelote
sans hameçon utilisée pour la pêche  aux anguilles en rivière  dans les  Charente et en Vendée.

3 
Pas besoin de réveil. A l’heure où l’aube fut entre leurs doigts, habillée de sa robe de froid et de brumes, Pilar ramassée dans son pagne terre de Sienne, avec un  tablier de chanvre pastel bleu, elle installa son gourbis sur une déserte sur le pont. Elle attela son aiguille à coudre la laine avec un très grand morceau de coton de cuisine, et, elle enfila les vers  de la veille. Sébastian ne voulait rien perdre de la frénésie habitant  son amie. Il  se fit donner une « aiguillée de faignante »,   copia non sans grincer des dents, l’enfilage des vers. Il comprit pourquoi il avait choisi Sciences Politique plutôt que  la Médecine. Du vivant, de la  grouille plein les doigts,- ba ba ba ba-. Maladroit, il n’avait jamais touché aux travaux de couture. Le jour se levait, les « anguillées » s’alourdissaient, les branchages faisaient ombres sur leurs tempes. De temps en temps Sébastian hoquetait, soufflait,  regardait avec grimace son énergumène de femme. Elle lui était jusqu’aux anguilles,  sa saison des rires et celles des herbes en mai sous une bonne brise. Un bon archange avait réussi à rejoindre ces deux êtres, lui et sa Pilar nationale. Une  rencontre improbable. Le destin part de loin parfois  pour atteindre son but !
Jamais, il n’avait imaginé une prise de retraite avec la Reine de l’invention permanente. Il s’accrochait comme un fou aux  chants des oiseaux pour ne pas tourner de l’œil. Ce voyage de leurs trois ans en chœur de l’autre, les anguilles marquaient quelle ponctuation ?  Les bruissements de Pilar, immergée dans la confection de sa pelote à vermée étaient loin de ses questions métaphysiques. C’était  une promesse mystérieuse à vivre, Pilar n’avait aucun doute sur son dénouement.
4
Finis les travaux d’aiguilles.  Pilar installa alors, à chaque canne à pêche une pelote de vermée. Les anguilles  allaient mordre dedans, et, quand le bouchon  s’enfoncerait dans la Dordogne, ils  lèveront doucement,  secoueront leur prise au dessus du parapluie de golfe écossais, et, l’anguille glissera sur le bord du parapluie flottant sur la rivière, elle atterrira immanquablement dans la manche du costume.
Elles attendront, là, la fin de la pêche. Cette veille tradition du Sud Ouest ! Sébastian l’interrompait : « je te donne une alouette, un pic vert, une pie jacasse aie le goût de l’oubli sur tes écueils. Ils t’ont créée si imprévisible qu’après les avoir caressés dans le sens des poils, pour les remercier, je leur dis  de foutre le camp et de ne jamais venir roder à tes alentours." 
Les chiens du capitaine ponctuaient les fins de phrases par de brillants jappements en accord. Ces chiens, les  voir c’est entendre un poème d’Yves Bonnefoy. Devant la boulangerie quand le Capitaine arrêtait la Gabarre pour chercher le pain au village. Les deux chiens, les pattes  de devant sur la barre du vélo ne le quittaient pas des yeux. La petite Laïka est une shiba inu, le mâle a une robe de chien loup une échine de labrador, une oreille de  labrador, l’autre de chien loup. C’est Billou : ce mach-mélo  douceur-tendresse.
5
La pêche à la vermée donna une  lessiveuse d’anguilles.  Avec la dextérité de Pilar ancienne urgentiste, il lui fut aisé sans les blesser de les bâillonner pour le bain du vivant velours  qu’elle s’était toujours fantasmée. Enfin, plus exactement elle l’avait refusé à un de ses ex-hommes, il s’était obstiné à lui donner un bain avec une lamproie. Non. Saperlipopette. Elle s’était dit qu’un jour elle s’en donnerait les moyens, elle le vivrait seule, sans regard, la perception des sens : impartageable.
Pilar avait fait installer par le Capitaine, la baignoire sur le pont avant. Elle se donna le bain en premier. Sébastian  la remplaça.  Le Capitaine voulut être de l’événement, il relaya donc Sébastian. Des rires d’une variation prosodique étonnante remplissaient l’étrave et la proue  de la Gabare.
Quand Sébastian  en sortit, il rejoignit Pilar dans le hamac, sur le pont arrière, , il  n’eut en bouche que cette phrase : « tu me burines aux embruns d’émotion, ma  Fleur de sel, mon baptistaire, ma couronne d’épine, ma crête de coq est cramoisi de cette foudre  « gorgonienne »*1, de ses sensations « al dente ». Gare à tes  abattis ou coure  très vite, danser dans le ventre de ta mère, pause, tu vas voir ma réplique, »           Il l’empoigna sa longue tignasse roux vénitien et l’emporta « presto » dans leur cabine.
*1 « gorgonienne » : de la gorgone méduse, mot composé avec l’image  du tableau de Caravage.
Homère parle des Gorgones monstres marins…
auteure
Pain. Mangou
Reproduction réservée

 



l'amoureux de Laïka et de Leica

suite demain

3 commentaires:

  1. joli shiba inu..je lirai plus tard...bisou

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  2. Deuxième lecture : une vespérale, une matinale!
    Un délice jubilatoire, beaucoup de générosité!
    Merci Frankie!

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  3. J'arrive pour cette lecture... j'aime ce ton et cette saine sensualité Frankie...même si je déteste les anguilles !!!

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