jeudi 10 janvier 2013

vendredi chronique des contes

Il était une fois une nonne bouddhiste d’une incomparable beauté. Elle cheminait depuis l’enfance vers le pays des Immortels. Un jour, au fond d’une forêt elle demanda le pain des pauvres à la porte d’une maison. Sur le seuil parut une femme.
- Où t’es-tu perdue malheureuse ? Mon fils est un ogre, il s’en vient ! Entre. Misère ! Où te fourrer ? Dans ce panier, sous la lucarne.
En grande hâte elle s’y enfouit. Un coup de pied ouvrit la porte.
- Quel est donc ce parfum, bougresse, qui me vient de ce vieux panier ?
- C’est une sainte et belle nonne que les Bouddhas font voyager.
L’affamé bouscula sa mère. La nonne se dressa debout. Elle semblait un soleil levant. L’ogre avança ses doigts tremblants et lui dit, la gorge nouée :

- Sainte dame, tu es si belle que je n’ose toucher ta peau. Tu vas reprendre ton chemin et je vais rester seul au monde. Que faire, dis, pour te revoir au paradis des Immortels ?
- Donne ton cœur, répondit-elle.
C’était « amour » qu’elle voulait dire, mais chacun entend comme il peut. Il poussa un rugissement, plongea son poing dans sa poitrine, arracha son cœur, le tendit.
- Porte-le aux Bouddhas, dit-il.
Il s’effondra contre ses pieds. Elle s’effraya de cette chair, ne la prit pas, s’en fut en hâte. Quand elle parvint, dans son grand âge, à la porte des Immortels :
- N’as-tu rien oublié, ma fille ?
Elle repartit sur son chemin.

(Henri Gougaud, L’Almanach)

2 commentaires:

  1. « Sainte dame, tu es si belle que je n’ose toucher ta peau. »
    (Henri Gougaud, L’Almanach)
    Voilà un thème très fréquent et souvent jugé littéraire : celui de la beauté qui paralyse. Devant une femme aussi belle que le jour, l’ogre – ou qui on voudra – perd son appétit féroce. La beauté se contemple, elle ne se consomme pas.
    Et si c’était vrai ? On se rappelle que c’était l’idée proposée par Bertrand Blier dans Trop belle pour moi, où la belle était incarnée par Carole Bouquet alors au sommet de sa splendeur. "Excusez-moi d’être belle" finissait-elle par déclarer.
    Fiction ? Pas tant que ça. J’ai souvenir d’avoir été dans les séances d’interrogations qu’on appelle des « colles » parfois subjugué par la beauté d’une étudiante, là, à 50 centimètres de moi. Pour ne pas être gêné par la beauté, il faut respecter une distance minimum…
    C'est pas une raison pour leur flanquer un voile sur la tête.

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