dimanche 15 janvier 2012

le mendiants fleuri d'edmond Rostand

Edmond ROSTAND




Il n'est pas du pays. D'où peut-il être ?... d'où ?
On ne sait pas. C'est un mystérieux bonhomme.
Sur le bord du chemin parfois il fait un somme.
Il porte un vieux chapeau qui paraît être, comme
Ceux que portent les champignons, en amadou.
Eut-il un nom ? Lequel ? On l'ignore. On le nomme
Le Mendiant Fleuri. C'est tout.


Il a cette folie, il a cette jolie
Folie : il se fleurit. Il se déguise en Mai.
Son chapeau d'amadou porte un phlox pour plumet.
Dès qu'il découvre un trou dans sa veste, il y met
Du lilas, un pavot. Si c'est une folie,
Cet affreux vagabond des routes se permet
La même que vous, Ophélie !

Cet homme a des crocus aux plis de ses lambeaux
Comme les champs en ont aux creux de leurs ornières ;
A ses poches il a des touffes printanières
Comme les bois en ont aux seuils de leurs tanières.
Au lieu des vieux boutons de corne, il a, plus beaux,
Des boutons d'or. Au lieu des pailles coutumières,
Il a du thym dans ses sabots.


Il reprise sa cape en ajonc qui s'accroche ;
Reborde un vieux revers avec des serpolets ;
Pique de la tremblette aux fentes des ourlets ;
Enrichit de bleuets roses et violets
Sa pauvre barbe dont le chanvre s'effiloche ;
Puis, fume, luxueux, parmi tous ces bleuets,
Une pipe d'aristoloche !

Qu'il est beau quand il va de maison en maison,
Chamarré d'herbe-aux-gueux, d'airelle et de spargoute !
La flore du moment sur lui frissonne toute.
Qu'il est beau quand il passe, en fleurs, et qu'il s'ajoute,
Comme un calendrier vivant, à l'horizon !


De sorte qu'il suffit de le voir sur la route
Pour savoir qu'elle est la saison !
Il réussit parfois des toilettes charmantes.
Je lui connus un col d'aspérule, un camail
De scabieuse ayant un chardon pour fermail.

Qu'il est beau quand il va de portail en portail,
Et que, chargé de coquelourdes et de menthes,
On le voit, rouge et vert comme un saint de vitrail,
Passer dans les herbes fumantes !

Ô bizarre bonhomme, ô vagabond falot,
Misère dont toujours embaumait le passage,
Vieillesse où le muguet attachait un grelot,
Ô Mendiant Fleuri, gueux parfumé, fou, sage !


Brave pauvre, qui, loin d'être un pauvre honteux,
Marques la déchirure, avec une jonquille,
On t'est reconnaissant, presque, d'être boiteux,
Tant la guirlande est belle autour de ta béquille !

Cynique éblouissant, héroïque et finaud,
Je ne saurais assez préférer, quand j'y pense,
Tes courageuses fleurs au facile tonneau,
Diogène charmant de nos routes de France !

Inconscient donneur d'une grande leçon,
Merci, fou gracieux, poète et philosophe,
D'oser, sous le soleil, enseigner la façon
D'accommoder de fleurs les restes de l'étoffe !

Il nous apprend, ton humble et rustique talent,
Ce qu'on peut faire avec quelques fleurs, quelques-unes !
Alors pourquoi traîner sa vie en étalant
Des misères, des trous, des tares, des lacunes ?

Pourquoi ne pas avoir un iris au chapeau
Qu'on tend vers le passant - ou qu'on tend vers la gloire ?
Ah ! Mendiant Fleuri, quand rentre le troupeau,
Ils font bien, les bergers, de te verser à boire !

Que ton moyen me plaît ! Tous mes accrocs d'hier
Vont aujourd'hui, du moins, servir à quelque chose.
Si tu fais le faraud, moi, je ferai le fier.
Ton gilet a son lys ? Mon cœur aura sa rose !

J'ai compris qu'il ne faut, qu'on ne peut, qu'on ne doit
Présenter au prochain nulle image cruelle,
Puisqu'on n'a qu'à rouvrir sa blessure du doigt
Pour y mettre la fleur qui va la rendre belle !

Bonhomme, j'ai compris qu'il faut être coquet
De sa blessure, au lieu d'en être malade.
Et que même, parfois, pour y mettre un bouquet,
Il convient d'élargir la simple estafilade.

On n'a plus peur de rien lorsqu'on prend ce parti :
Et l'on acquiert bientôt la grâce, et la manière
D'être reconnaissant au buisson qui, gentil,
Pour la fleur qu'il vous tend, vous fait la boutonnière !

Dès qu'on est décousu par un poignard nouveau,
Il faut en profiter pour se fleurir encore !
Plus on est malheureux, plus on doit être beau !
Faisons tous nos malheurs en corolles éclore !

Servons-nous du malheur. - Un jour, un jardinier
M'a dit cette parole ingénue et profonde :
"Si Job avait planté des fleurs sur son fumier,
Il aurait eu les fleurs les plus belles du monde !"

Edmond Rostand (1868-1918) - Les Musardises (1890



victor hugo
« … Et nous recommencions nos jeux, cueillant par gerbe
Les fleurs, tous les bouquets qui réjouissent l’herbe,
Le lys à Dieu pareil,
Surtout à ces fleurs de flamme et d’or qu’on voit, si belles,
Luire à terre en avril comme des étincelles
Qui tombent du soleil ! »

18 commentaires:

  1. Quel beau texte Frankie...au combien émouvant..

    "Plus on est malheureux, plus on doit être beau !
    Faisons tous nos malheurs en corolles éclore !"

    Un principe que j'ai toujours préféré a tout autre principe...
    La douleur et la peine sont parfois des leviers a la créativité ,peut être plus que le bonheur béat et satisfait...il y a dans l'expression de la douleur sublimée une authentique émotion...
    merci pour cet unique moment...
    je t'embrasse Frankie..passe une belle semaine..:)

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    1. c"'est en lisant le mimosa chez vous que je me suis mise à chercher un conte sur le mimosa
      je dois intervenir pour la journée des contes le théme est l'arbre et j'ai choisi le mimosa que vous avez su nous nourrir et embaumé
      et j'ai cherché cherché
      et cette trouvaille
      çà, y j'ai écrit ma partition
      merci pour l'étincelle Clo

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  2. beau et souligné avec de belles photos..

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  3. J'aime bien la fin de ce poème c'est une belle leçon. Merci pour ce beau texte.

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    1. fidéle cher Solange j'aime vos petites visites elle ponctue les parutions et nous sommes heureux de ce tableau la chaise en bois et le chapeau, belle semaine

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  4. Merci pour cette superbe découverte !

    Amitié

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    1. n'est ce pas que nous sommes tous sous le charme de ce mendiant je vais l'apprendre car c'est trop beau et vos réaction m'y convie
      biosus et bonne semaine

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  5. Seuls les poètes savent nous rendre le sort du mendiant enviable...
    Oui, merci aussi, car je ne connaissais pas ce texte.

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    1. cher Ötli oui il est parfois de rejoindre nos anciens se mettre à compter le 12 pieds ou les hexagrammes
      belle soirée et bonne composition de vos haiku qui nous troubLent

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  6. On n'a jamais trouvé mieux comme poètes que ces anciens qui nous en remontrent...
    Je découvre également ce poème, merci à toi.
    Bizz
    s.h.

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  7. @ seb
    ous voici revenu sur les voies de l'échange de nos verbes

    merci de ce choix
    face book et le boulot à l'état du busy ness plan

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  8. Je m'en veux un peu de ne pas avoir vu...
    J'ai sacrifié une partie de mon temps au "pragmatisme". Je m'aperçois que j'ai en partie tort et en partie raison. Le pragmatisme n'est rien face aux relations humaines.
    Je t'embrasse,
    s.h.

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    1. la sortie d'un premier livre et l'autre , comme pour des raisons professionnelles je me dois d'ouvrir mon mail plusieurs fois par jour, et vous voir là jusqu'à dix fois par jour, pour un mot, cela me broutait ma pauvre énergie si vite bouffée à paris car l'état de robotisation est grande, je resiste comme je le peux mais là c'était trop, et hier trois personnes avait un peu trop pris sur ma générosité et mon équilibre était touché, je vous embrasse. frankie

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  9. Je voulais revenir sur le message précédent mais j'ai vu ce poème de Rostand, alors la plume m'a fourché pour ainsi dire... mais que dis-je, les mots se balancent de ma gueule et sortent avant que je ne sache ce que je voulais dire...

    Mais oui, parfois les mots se prennent pour d'autres... et qui a déjà vu des mots se confondre en excuses, je vous demande ?

    Ce doit être ce Cohen que j'écoute à fond la caisse, un vrai poète à la voix profonde, une voix d'outre-tombe, une voix aux relents d'une autre culture, une voix qui se sait vieillir mais continuer d'aimer les femmes.

    Mais que disais-je donc ? Ah oui, à propos de Rostand, ce poète très légèrement suranné, mais aux expressions éblouissantes... : « Diogène charmant de nos routes de France ! » Et vlan ! Nous voilà d'un coup baignant dans la campagne française ! Déjà si loin dans le temps, mais en même temps si près, parce que nous serons de retour au printemps, cette vieille France nous rappelle encore et toujours, dense et troublant parfum de mes origines...

    N'ayez crainte, vieilles pierres, mon sac à dos est déjà prêt, je veux revoir cette foutue Bretagne à moi. Loire, Normandie, Bourgogne, une pointe à Paris... il faudra sûrement plus d'un mois cette fois !

    Je serai de retour d'ici très peu. Pour rigoler en pleurant, pour déconner au sujet de ma vie, et pour me jouer des mots sans rien dire tout en écrivant beaucoup.

    Bonsoir, chère Frankie, et à la prochaine...

    Roger

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  10. mon cher Roger, je vous ressens léger comme un poisson dans le court de sa rivière, votre voyage vous a rendu en forme et primesautier, nous n'avons pas obligatoirement à dire quelque chose de spéciale , je prends votre mot comme une musique , un improvisation de jazz d'ailleurs nous parlons , vous parlez de mots et la musique des mots est là à vibrer dans nos oreilles
    je vous embrasse Roger à bientôt

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  11. "Plus on est malheureux plus on doit être beau"!
    Y que se mueran los féos!!

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