Classé
dans : — unpeudetao @ 16:22
Le
printemps, en Bretagne, est plus doux qu’aux environs de Paris et fleurit trois
semaines plus tôt. Les cinq oiseaux qui l’annoncent, l’hirondelle, le loriot,
le coucou, la caille et le rossignol, arrivent avec de tièdes brises qui les
hébergent dans les golfes de la Péninsule armoricaine. La terre se couvre de marguerites,
de pensées, de jonquilles, de narcisses, de hyacinthes, de renoncules,
d’anémones, comme les espaces abandonnés qui environnent Saint-Jean-de-Latran
et Sainte-Croix de Jérusalem, à Rome. Des clairières se panachent d’élégantes
et hautes fougères ; des champs de genêts et d’ajoncs resplendissent de fleurs,
qu’on prendrait pour des papillons d’or posés sur des arbustes verts et
bleuâtres. Les haies, au long desquelles abondent la fraise, la framboise et la
violette, sont décorées d’églantiers, d’aubépine blanche et rose, de boules de
neige, de chèvrefeuille, de convolvulus, de buis, de lierre à haies écarlates,
de ronces dont les rejets brunis et courbés portent des feuilles et des fruits
magnifiques. Tout fourmille d’abeilles et d’oiseaux : les essaims et les nids
arrêtent les enfants à chaque pas. Le myrte et le laurier croissent en pleine
terre ; la figue mûrit comme en Provence. Chaque pommier, avec ses roses
carminées, ressemble à un gros bouquet de fiancée de village.
L’aspect du
pays, entrecoupé de fossés boisés, est celui d’une continuelle forêt et
rappelle l’Angleterre. Des vallons étroits et profonds, où coule, parmi des
saulaies et des chènevrières, de petites rivières non navigables, présentent
des perspectives riantes et solitaires. Les futaies à fond de bruyères et à
cépées de houx, habitées par des sabotiers, des charbonniers et des verriers,
tenant du gentilhomme, du commerçant et du sauvage ; les landes nues, les
plateaux pelés, les champs rougeâtres de sarrasin qui séparent ces vallons
entre eux, en font mieux sentir la fraîcheur et l’agrément. Sur les côtes se
succèdent des tours à fanaux, des clochers à la renaissance, des vigies, des
ouvrages romains, des monuments druidiques, des ruines de châteaux ; la mer
borde le tout.
Entre la mer
et la terre s’étendent des campagnes pélagiennes, frontière indécise des deux
éléments : l’alouette des champs y vole avec l’alouette marine ; la charrue et
la barque, à un jet de pierre l’un de l’autre, sillonnent la terre et les eaux.
Des sables de diverses couleurs, des bancs variés de coquillages, des fucus,
des varechs, des goémons, des franges d’une écume argentée, dessinent la
lisière blonde ou verte des blés : j’ai vu dans l’île de Céos un bas-relief
antique qui représentait les Néréides attachant des festons à la robe de Cérès.
Dans les
paysages intérieurs du continent, le plan terrestre et le plan céleste se
regardent immobiles ; dans les vues maritimes, le coulant azuré des flots est
renfermé sous l’azur fixe du firmament. De là un contraste frappant : l’hiver,
du haut des falaises, le tableau est de deux couleurs tranchées ; la neige qui
blanchit la terre, noircit la mer.
Pour jouir
d’un rare spectacle, il faut voir en Bretagne le soleil, et surtout la lune, se
lever sur les forêts et se coucher sur l’Océan.
Établie de
Dieu, gouvernante de l’abîme, la lune a ses nuages, ses vapeurs, ses longs
rayons, ses ombres portées comme le soleil ; mais, comme lui, elle ne se retire
pas solitaire, un cortège d’étoiles l’accompagne. À mesure qu’elle descend au
bout du ciel, elle accroît son silence qu’elle communique à la mer. Bientôt
elle touche à l’horizon, l’intersecte, ne montre plus que la moitié de son
front qui s’assoupit, s’incline et disparaît dans la molle intumescence d’un
lit de vagues. Les astres voisins de leur reine, avant de plonger à sa suite au
sein de l’onde, s’arrêtent un moment, suspendus sur la cime des flots et des
écueils, phares éternels d’une terre inconnue. La lune n’est pas plutôt
couchée, qu’un souffle venant du large, brise l’image des constellations comme
on éteint des flambeaux après une solennité.
François-René
de CHATEAUBRIAND (1768-1848).
Caressons les mots de ceux qui nous ont fait hérité de ce magnifique patrimoine : les mots.
Dans les années de la grande guerre
quelqu'un a dit "quand on brûle les mots ,
brûler les hommes n'est pas loin"
brûler les hommes n'est pas loin"
belle journée
charmants et charmantes lectrices. belle fin de semaine.
Ionesco son regard.
....Vos pensées me nourrissent et fécondent mes écrits élargissent
mes points de vue
et écrire c'est vraiment avoir plusieurs fuseaux horaires dans le regard.
et écrire c'est vraiment avoir plusieurs fuseaux horaires dans le regard.
Bye... Françoise
à Jean Pierre Hamel
pointdevuedujour blog ex blog citation du jour.
Très beau texte amoureux de la Bretagne. N'as-tu jamais remarqué comme Ionesco et Yourcenar ont le même oeil? Etonnant, non?
RépondreSupprimerUn très beau texte et, effectivement, une maîtrise de la langue. Quand on veut écrire, il faut lire, mais, bien évidemment, des auteurs qui écrivent bien !
RépondreSupprimerBonne soirée !
RépondreSupprimerBelle fin de semaine Frankie\Oise.
Le printemps n'est pas encore là sur le massif armoricain
mais avec de la bonne volonté et un si beau texte..on devrait y arriver
jj
:-)
Je n'avais pas remarqué l'étonnante ressemblance avec Marguerite Yourcenar !
RépondreSupprimerMerci belle Frankie pour cette page magnifiquement classique... il savait bien utiliser les mots maître Chateaubriand
coincée par les neiges et verglas mes allées et venues sont légèrement différés
gros bisous