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De Françoise Pain
Parenthèses de Sang 2 et 3
Ma
boussole,
Ma chère Fanny, partie
là –haut 6 mois avant la manif des 4 garrotés par Franco. Je te croyais
heureuse dans ton Ariège, ton Saint
Girons avec tes juments, étalons et ton
baroudeur d’homme…….
Nous remontions la rue
Sainte Catherine, je vois ma Boussole. Ta silhouette, je coure, je te dépasse, je te saute au cou, et
j’entends : « vous confondez, je ne suis pas Fanny, sa sœur,
simplement. Vous êtes Odette,….. Nous vous cherchons depuis six mois ».
Nous n’étions pas loin de ce photomaton où nous avions fait des photos où nous
avions écrit derrière : « à la
vie à la mort ». Ta sœur avait en plus ta voix. Nous sommes allées nous
assoir sur les marches de la synagogue. Nous avons partagé ce chagrin. Il a
duré 1 an… Tous tes amis quand nous nous apercevions, nous nous fuyions pour ne
pas t’évoquer tant nous devions « fontaines ». Rien que de nous voir, c’était toi sur le
grand écran du Max Linder.
Chaque fois que je
revenais de la Rochelle, après la traversée de la Dordogne sur le pont de Saint André de Cuzac, je
m’arrêtais à l’arbre que tu avais embrassé, qui avait sucé ton sang jusqu’à la
dernière goutte, avant l’arrivée des secours. Ma Boussole, j’ai appris plus
tard ce qui était entre ton baroudeur des cœurs, la jeune cavalière, et son refus de te faire un enfant. En Août
quand nous nous étions vu, tu n’avais pas trouvé opportun de parler de cela
avec moi. Nous avions fait une virée sur la ligne des crêtes avec tes chevaux.
Nous avions parlé de la cueillette des myrtilles, tu m’en avais donné un
pot. Je m’en achète souvent pour revivre ce dernier moment de
« nous ».
L’unanimité de tous tes autres amis sur ton
désir d’en finir. Ton endormissement au
volant, tu rentrais à votre haras au
dessus de Saint Girons, tu savais, tu savais que ta couche avait été
soigneusement pris d’assaut d’un autre amour. Nous devenons vite vieilles pour
certains hommes : 25 ans !
Ma Boussole,
tu es toujours là en mon être, cette amitié est insoluble même dans le voyage
dans l’au-delà. Combien de fois dans les
situations extrêmes, de joies comme de peines, je t’ai appelée à venir prés de
moi, juste te parler. Il y a toujours un moment où une phrase que je formule,
ne m’appartient pas. Elle m’offre un inattendu, que j’explore tel un
moine japonais dans une méditation créant
après des haïkus. Je cueille les
5 sens qui m’environnent, le 6éme m’est offert, c’est le tien. C’est la voie à
suivre bien souvent.
Tu m’as appris à voir
la Face Nord de mon fiancé. J’ignorais que le tien était pire que le mien. Il a
eu ta peau, je ne l’ai pas vu. Ta réserve m’a trompée. Comment pouvais- je
m’imaginer qu’une femme si rigoureuse dans son regard sur l’autre, ne voyait pas pour elle. C’est le danger avec une « naïve bêtasse ». Depuis
Petite, mon désir est d’être intelligente, depuis cette myopie de ce dernier
voyage à Saint Girons, ce désir s’est renforcé pour toujours.
Aujourd’hui, je suis en deuil de ma grande amie Ecriture.
Et comme tu peux le constater, je suis défaite de partout. Mes sutures
craquent. Cette phrase : « S’il y a quelqu’un qui doit écrire ici de
nous, c’est toi. » Tu me veillais sur mon premier mémoire :
« Fêtes et sociétés ». Avec
mon nouveau copain, vous aviez organisé une garde de nuit pour lui,
pour toi c’était la journée. Aller jusqu’au bout du mémoire.
Quelle épreuve ! Une nuit pour avoir le courage de poser un mot. Comme il
en avait fallu du temps. Je n’ai jamais lâché cette épreuve, cette activité.
Elle m’a offert de grands moments de joie,
des douleurs, de moqueries violentes, des cabales. Ecrire et le partager ne sont pas choses aisées. Tu es
arrivée au bout de mon porte plume. Et
en faisant la vaisselle, une image s’est imposée. Elle est celle d’un vieux
« matatador » . Après avoir fait des muletas incertaines, il
ne peut donner l’estocade à son taureau, il se retrouve pousser par lui sur
les bords de l’arène. Ses hommes sont venus achever le taureau à sa place. La foule a hurlé sur
le matador. C’était ma première corrida. Les aficionados, mes voisins, me commentaient les actions pour que je
comprenne mieux ce spectacle, ils me
dirent que c’était un très grand matador. A cette époque, je commençais ma
carrière de comédienne à Paris, et je me
suis dit devant ce digne matador qu’un jour viendrait cette panique tétanisante. Et ce serait la fin.
J’ai noyé avec un texte
en art du fragment, d’une densité inaudible, happée par un état d’émotions non
maitrisées, un groupe de lecteurs-auteurs ainsi que la Dame à l’oreille absolue
qui nous guide en progression de qualité dans nos arabesques
d’encre pour nos romans respectifs. Cette phrase « tu nous a noyés » et l’image interne
m’ont envahie, obstruée tel le port de
Marseille par le bateau la Sardine. Je n’avais plus accès à la mise en
distance. René Char dit : « les pluies sauvages favorisent les passants profonds ».
Où est la battante, la
Rebelle, cette femme capable après la première de son spectacle, de se remettre à l’écriture d’un passage car son public a été perdu…
Je sens sur mon visage
l’emprunte de tes mains comme si j’étais une marionnette, tu m’actives
les mâchoires et tu me fais prononcer : « l’écriture n’a pas
encore dit toute son histoire avec toi, Odette ». J’y bois chaque labiale
prononcée, j’aspire chaque voyelle comme une odeur, -l’odeur notre GPS à notre
vie profonde- . Les larmes évidemment prennent leur « Tutus roses »,
leurs ballerines et nous offrent des glissades artistiques sur mes joues poupines de cortisones.
Enfin les mots de la
Dame à l’oreille absolue prennent place et agissent en moi
« Laisse
ce texte pour le moment, …, sors vite
de ton intranquilité…. »
Merci ma chère Boussole
Fanny, reste quelques jours, plus gaie je vais être, je sens naitre dans mes
combes, un sourire.
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un magnifique texte...de sang et de larmes..et plus!
RépondreSupprimerMélancolie, tristesse avec en filigrane, de l'espoir........
RépondreSupprimerTrès fort.
Je t'embrasse ma Frankie.
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimerC'est un texte qui en dit beaucoup triste mais avec de l'espoir, bravo.
RépondreSupprimerBrrr... quel chagrin presque inconsolable, jusqu'à ce que l'espérance revienne. Un texte très fort!
RépondreSupprimerPS - Merci pour cette belle photo de la grande dame de la littérature! Très émouvant!
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