Une nouvelle vie sur l'emploi du temps
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Je
m’asseyais sur le lit voisin, toujours vide. Quand je vis que ce silence enveloppant était à son règne, je me munis de statuettes en
glaise que je faisais dans les ateliers d’art thérapie avec les drogués de la Free clinique, aussi
lieu de stage à Saint Pierre. Avec un torchon blanc sur les genoux, une lame de
bistouri, les sculptures sèches. Je peaufinais les formes. La table
des repas me servait de cercle d’envahissement des petits copeaux de glaise. Ainsi les mots pouvaient arriver
sans être traqués d’une charge d’attente corrosive. Les infirmières
l’appelaient Monsieur « Silencioso ». Il avait
fait du silence : un langage. Elles ne disaient rien sur mes
drôles façons d’occuper mes visites. Elles constataient l’effet apaisant de
cette activité auprès de leur patient. Le rituel était là.
Le matin :
les médecins, les rayons x, l’après midi : sa Fille. De de temps en temps pour
les diagnostiques j’avais l’usage
les rayons X. Je faisais partie des hôpitaux de Bordeaux, je pouvais obtenir
des autorisations de sortie. La grande joie du père était la place saint
Michel. Nous nous asseyons sur le banc de pierres, le dos à la statue des
soldats de la résistance à Bordeaux. Nous
avions la vue du parvis de l’église Saint Michel et le grand arbre aux branches
parasols qui a l’automne a des feux de lumières jaunes dans ses feuilles. La
bouteille d’oxygéné toujours à nos côtés. Les gens nous regardaient en disant de
nous « Les Amoureux ». Nous ririons.
Nous étions l’image de l’autre en
son contraire. Ronde pulpeuse d’une vivacité qui se voyait même dans mon
immobilité , lui chétif amaigri, le visage d’un légionnaire du Fort Saganne des
rayons X. Les cheveux noirs coiffés à la Rudolph Valentino ou Hunfrey Bogard,
c’étaient les surnoms des ressemblances que l’on lui donnait quand il était le
prince des bals de Charente Maritime et de Vendée. Pas un poil blanc dans ses
cheveux. Il avait toujours aimé les marchés, la brocante. Je lui servais. Entretenir
sa flamme intérieure, le temps que les cellules neuves repoussent. J’inventais des histoires pour le faire
sourire. Sourire, j’avais si peu vu cette expression de lui depuis la guerre d’Algérie, avant j’étais trop
petite. Ses billes ébènes quand elles plongeaient sur moi me figeaient. Il
était en Guerre, il en revenait. Ca impressionne. Nous étions ses Femmes et
quand ils parlaient de là bas, il disait ses Hommes.. Quelques habitués de la
place venaient se joindre à nous. Arabes, espagnols. J’étais la traductrice
pour l’espagnol et mon père pour l’arabe qu’il le parlait assez bien.
J’étais
à l’affût de quelque chose qui me livrerait le mystère de Ce père, ailleurs que dans l’inventaire bestiaire de ma mère. Des balles de mitraillettes à chaque
mot prononcé à son égard. Et le pére débarqué dans notre deuxième étage du
monastère en face de la bibliothèque de Nantes, la baronne se transformait en Midinette. Elle roucoulait comme le pinson au printemps. J’avais récolté la même verve sur moi. L’incapable,
la bonne à rien. J’en étais devenue dyslexique, lui c’est peut-être de là
qu’est né : Monsieur El Silencioso.
Six
mois se passèrent ainsi. Les mots furent absents. Sauf le jour quelques jours
avant le départ où il se jeta dans mes bras .
(suite) à bientôt
de Françoise Pain
droits réservés
trois ans plutôt que cette image
Mes voeux pour que ces ateliers 2018 soient des moments de partage et d'enrichissement. Amicales bises.
RépondreSupprimerC'est toujours un mystère, je crois qu'on ne connais jamais personne, parfois on partage seulement quelques émotions ensemble mais le puzzle n'est jamais terminé
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