L’affamé et la poule grasse
C’était une misère d’homme. Son champ lui donnait trois épis, sa chèvre trois giclées de lait et sa femme un enfant par an. Il en avait une dizaine, maigrichons comme des roseaux, qui lui agrippaient la chemise, la bouche ouverte et les yeux grands, quand il s’en revenait fourbu de ses désolantes journées. Racines, légumes sauvages, folle avoine volée au vent, il leur faisait soupe de tout et ne gardait rien pour son ventre. Ils survivaient mais lui, le pauvre, dépérissait de jour en jour. Vint l’inévitable matin où ses genoux le menacèrent de l’abandonner aux chacals. Alors une rogne le prit, jubilatoire, irrépressible. Il s’en fut droit chez son voisin, le vit qui troussait sa servante et profita de l’occasion. Il lui vola une volaille. Son rêve. Une poule dodue à dévorer, rôtie, en douce, à la pointe de son couteau, tout seul, sur le coup de midi, à l’ombre muette d’un roc.
Il escalada la colline. Il chercha parmi les buissons l’endroit vierge, idéal, sauvage, cette sorte de lieu parfait où personne ne vient jamais, s’installa dans un soupir d’aise, pluma son poulet, le vida, le bourra d’herbes parfumées, l’embrocha, fit un feu vivace et mit sa bestiole à dorer. L’air s’embauma. Des oiseaux vinrent, pépièrent autour du rôti, s’en furent chanter sa louange à grands cris, au plus haut du ciel. Et voilà qu’à l’instant d’extase où il allait, du bout des doigts, détacher un lambeau de peau de la cuisse cuite à merveille, il vit soudain paraître un homme, à vingt pas, sur la lande nue. Il enfouit précipitamment son festin sous des ronces basses.
- Salut, lui dit le vagabond. Que fais-tu là. Es-tu perdu ?
- Hé non, l’ami, je me repose.
- Ton feu sent le poulet rôti.
- Ah bon ? Vraiment ? répondit l’autre, les yeux perdus au fond de l’air.
- Par pitié, un lambeau de viande. J’ai grand faim, je suis fatigué.
- Rien de rien, marmonna le pauvre. Tu n’auras rien. Voilà. C’est dit. C’est vrai, j’ai volé une poule. J’en prive même mes enfants pour m’en rassasier tout seul, pour me goinfrer jusqu’au gosier, pour voir ma panse rebondie au moins une fois dans ma vie. Pense de moi ce que tu veux, mais s’il te plaît, hors de ma vue !
- Sais-tu qui je suis ?
- Je m’en moque !
- Ami, je suis ton Dieu. Ton Seigneur.
Le pauvre d’un bond se dressa. Il lui rugit à la figure :
- Et tu voudrais que je partage avec toi mon poulet rôti ? Que m’as-tu donné, toi, dis-moi. Même pas la force de vivre et de nourrir mes dix petits. Aux uns les pieds dans la caillasse, aux autres les palais royaux, les carrosses, les coffres-forts. Va donc mendier chez les riches, maudit patron des cousus d’or !
Une flopée de postillons étoila la divine face. Dieu leva un coude craintif et s’enfuit, le dos bombardé d’invectives extrêmement graves.
L’affamé ramassa sa proie, un peu terreuse et refroidie mais encore assez à son goût. Comme il allait mordre dedans :
- Salut, dit une ombre nouvelle.
Le bonhomme pensa : « Misère ! Encore un. Au prochain, je tue. » Il leva le nez.
- Qui es-tu ?
- Je suis la Mort. Je meurs de faim.
- Avec toi, d’accord, je partage, répondit le pauvre vivant. Ta justice est celle que j’aime. Même chemise de néant pour les gros comme pour les maigres. Rien à redire. Sers-toi donc. L’aile, la cuisse ou le croupion ?
(Henri Gougaud, Contes et recettes du monde)
Textes du jour de la blog-woman, phrases : colonne vertébrale, contes, légendes, mots d'humeurs, d'amour, lettres à la mer, recherche de connivence, complicité, ses dessins, ...la jazzeuse des grands chemins et sentes, écrivaine nomade des murmures de la vie intérieure et des happening minimalistes nés au hasard d'un banc public dans un parc aromatique , un abri bus , un train , un marché, les pas perdus d'un aérogare tous les lieux insolites pour une rencontre.
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J'ADORE !!!
RépondreSupprimerCela me donne même envie d'être la poule afin d'être manger avec autant de désir !..
Quand à la Mort, je suis sûre que je partagerai aussi avec elle, dîner avec la Mort, cela doit être quelquechose !..
Ne t'inquiète pas, Sophie, ton jour viendra d'avoir ton souper avec la Mort. Le jour vient toujours, et peut-être que tu ne souhaiteras plus l'avoir comme convive au moment où elle viendra. On l'appelle, elle ne vient pas, on ne l'appelle plus, elle s'invite.
SupprimerJe ne connaissais pas ce conte,c'est délicieux comme le poulet.
RépondreSupprimerChère Duchesse, votre coq Brahma resplendit sur vos terres !
RépondreSupprimerAmitiés depuis l'Orée à tous vos gallinacés.
delorée
Et bien, chère Duchesse, j'ai parmi mes amis un coq Brahma qui se balade sur mes terres, de la même race que celui que vous nous donnez à voir sur la photo (5).
RépondreSupprimerEt son chant est classique, mais tout en profondeur.
Bien cordialement à vous
Le diable n'intervient pas dans l'histoire, il est repu avec toutes les cocottes qui rôtissent en enfer!
RépondreSupprimerFrankie,
RépondreSupprimermerci pour cette histoire,
Je ne savais pas ...
est de penser à bien des égards!
...toujours quelque chose à se rendre!
J'ai adoré les photos!
un câlin