mercredi 17 février 2010

Voyage à la Tundra (suite) La morjevat


Le morjevat
Fransèva à Saint Pierre dans sa méridienne

De l’éternité d’une opération Il avait tenu à transgresser la règle de son statut : venir en personne dans le lieu de convalescence de son énigmatique patiente.

Quelle fut la joie de cette femme, Franséva d’entendre l’annonce de cette nouvelle. Pour lui, c’était une première en 35 ans de carrière hospitalière et privée.

Il précisa qu’il ne savait pas l’heure à laquelle il arriverait à Saint Pierre. Tout dépendrait de l’afflux aux urgences et des actes qu’il accomplirait.

Elle avait été faire le marché avec Gladys sa femme de ménage, disons la nounou de la maison. Elle avait organisé les pelures et les cuissons des légumes, préparer les bûches pour la braise de la dorade royale. La tarte Tatin reposait sous le doré caramel des pommes du verger Il ne lui resterait plus qu’à l’installer au bon moment près du feu de cheminée et de la flamber au calvas de son factotum.

Gladys préparait la chambre du visiteur.

Tout orchestré, Franséva prit le chemin taillé en lacet dans la falaise. La marée était base, son rocher bien dégagé des vagues sur son immense lit de varech.

De sa cabane de plage, elle avait tiré son matelas pneumatique, elle l’installa ; ainsi que ses coussins chauffants dans ses creux d’anatomie. Elle prit sa pose quotidienne.

De son sac hermétique, elle sortit son coquillage de Saint Jacques, la perle de son écrin de mousse. Sous son nombril, sur son tertre de chair : les bourgeons de sa cicatrice. Elle déposa délicatement tel un tabernacle de campagne, ces fruits de la mer .

Le soleil pour la saison était saisissant ou l’état post opératoire lui avait rendue la kinesthésie de ses 33 ans.

Elle égraina les notes choisies en accord parfait du do qui réveillait la présence-absence, l’extraction.
A chaque expiration, elle envoyait son souffle sur la perle.

Elle riait d’elle-même, son affrontement au froid : elle pensait à la fête de l’Epiphanie des russes° le jour de son passage à Moscou où tous les russes°1


allaient prendre le bain dans la nuit noire et glaciale de janvier alors que la température avoisinait le 25 degrés en dessous de zéro. Ils sont là sur le lac congelé, battus par une brise glaciale ; deux trous ont été fait sur le lac et un pont de deux échelles pour favoriser la trempette ; les postulants sont nombreux et font la queue en maillot de bain sur la glace .Les hommes jouent leur statut de « moujik »(homme) . Ils se prouvent qu’ils sont plus forts que les « morses ». Il existe même un verbe « morjevat » qui désigne l’action de se baigner dans l’eau glacée.

Elle a gagné de la résistance au froid dans son voyage à la toundra, son exposition au zéphire du printemps : la différence est équatoriale.

Plusieurs heures s’étaient passées. La douleur des engourdissements de la posture était vaincue par l’écheveau de ses pensées si neuves qui affluaient comme les voitures sur l’autoroute du sud les dates de vacances. Le vent jouait le rôle de la plume du scripte et les tatouait sur toute la surface de son corps à l’encre invisible. Elle s’imaginait les relire en s’éclairant à la bougie. La confiance circulait dans ses veines, la respiration reprenait son amplitude ventrale, l’air chargé d’iode l’euphorisait. Elle n’était pas dupe d’elle. Le coup de fil avait transfiguré ce repos.

« ô Illusion !
Creuse ton sillon,
quelques instants.
A la marée d’un soir
je te remettrai à la mer.
Soit une soumise, captive
A nos tourbillons interdits
que je goûte à satiété
ce frisson surgissant
de la nuit de mes temps d’exil
en grande métropole »
(suite) demain
De l’éternité d’une opération.

Du transibérien
Du mercredi 20 au 30 janvier 2010
D’après le récit d’Eliéva avec Sergeuï , Ivan, Edmond, Nardo , Nouk, Renée, Anne Marie,
Annouska, La Kaïna

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