Textes du jour de la blog-woman, phrases : colonne vertébrale, contes, légendes, mots d'humeurs, d'amour, lettres à la mer, recherche de connivence, complicité, ses dessins, ...la jazzeuse des grands chemins et sentes, écrivaine nomade des murmures de la vie intérieure et des happening minimalistes nés au hasard d'un banc public dans un parc aromatique , un abri bus , un train , un marché, les pas perdus d'un aérogare tous les lieux insolites pour une rencontre.
vendredi 2 juillet 2010
vendredi jour du conte :le rayon de lune de HENRI GOUGAUD
Le rayon de lune
Quand il vécut ce que je vais vous dire, Mackam était un jeune homme au cœur bon, à l’esprit rêveur, à la beauté simple. Il souffrait pourtant d’une blessure secrète, d’un désir douloureux qui lui paraissait inguérissable et donnait à son visage, quand il cheminait dans ses songes, une sorte de majesté mélancolique. Il voulait sans cesse savoir. Savoir quoi, il n’aurait pas su dire. Son désir était comme une soif sans nom, une soif qui n’était pas de bouche mais de cœur. Il lui semblait que sa poitrine en était perpétuellement creusée, asséchée. Il en tombait parfois dans un désespoir inexprimable.
Il fréquentait assidument la mosquée, mais dans ses prières, ce n’était pas le savoir qu’il désirait. Il les disait pourtant tous les soirs, lisait le Coran, cherchait la paix dans sa sagesse. Il s’y décourageait souvent. En vérité, plus que ses paroles sacrées, il goûtait le silence qu’il appelait à voix basse : « le bruit du rien », à, l’heure où la lune s’allume dans le ciel.
La lune, il l’aimait d’amitié forte et fidèle. Elle lui avait appris à dépouiller la vie de ses détails inutiles. Quand elle apparaissait, il la contemplait comme une mère parfaite. Sa seule présence simplifiait l’aridité et les obstacles du monde. Ne restaient alentour que la pointe de la mosquée, l’ombre noire de la hutte, la courbe pure du chemin, rien d’autre que l’essentiel, et cela plaisait infiniment à Mackam.
Or, une nuit de chaleur lourde, comme il revenait, le long du fleuve aux eaux sombres et silencieuses, de l’école coranique comme il avait longtemps médité, l’envie le prit de dormir dans cette tranquillité où son âme baignait. A la lisière du village, il se coucha donc sous un baobab, mit son Coran sous sa nuque, croisa ses doigts sur son ventre et écouta les menus bruits du rien, alentour. Le ciel était magnifique. Les étoiles brillaient comme d’innombrables espérances dans les ténèbres. Le cœur de Mackam en fut rempli d’une telle douceur que sa gorge se noua. « Savoir la vérité du monde, soupira-t-il, savoir ! » ce mot lui parut plus torturant et beau qu’il ne l’avait jamais été dans cette nuit délicieuse. Il regarda la lune.
Alors il sentit un rayon pâle et droit comme une lance entrer en lui par la secrète blessure de son esprit. Aussitôt, le long de ce rayon fragile, il se mit à monter vers la lumière. Cela lui parut facile. Il était soudain d’une légèreté merveilleuse. Une avidité jubilante l’envahit. La pesanteur du monde, les chagrins de la terre lui parurent bientôt comme de vieux vêtements délaissés. Il se dit qu’il allait enfin atteindre cette science qu’il ne pourrait peut-être jamais apprendre à personne, mais qui l’apaiserait pour toujours. Il bondit plus haut. Les étoiles disparurent alentour de la lune ronde. Il se retint de respirer pour ne point rompre le fil qui le tenait à l’infini céleste. Il s’éleva encore, parvint au seuil d’un vide immense et lumineux.
C’est alors qu’il entendit un cri d’enfant lointain, menu, pitoyable. Un bref instant, il l’écouta. Quelque chose en lui remua, un chagrin oublié peut-être, un lambeau de peine emportée dans le ciel. Mackam se sentit descendre imperceptiblement. Le cri se fit gémissant dans la nuit. Il s’émut, s’inquiéta. « Pourquoi ne donne-t-on pas d’amour à cet enfant ? » se dit-il, et il eut tout à coup envie de pleurer. Il se tourna sur le côté. Il était de nouveau dans son corps, sous l’arbre.
Et dans son corps, les yeux mi-clos à la lumière des étoiles revenues, il vit la cour d’une case, et dans cette cour un nourrisson couché qui sanglotait, les bras tendus à une mètre absente. Mackam se dressa sur le coude, le cœur battant, la bouche ouverte. Il n’y avait pas d’habitation à cet endroit du village. Il murmura :
- Qui est cet enfant ?
- C’est toi-même, répondit une voix fluette, au-dessus de sa tête.
Il leva le front, tendit le cou et vit un oiseau noir perché sur une branche basse du baobab. Il lui demanda :
- Si c’est moi, pourquoi ai-je crié ?
- Parce que la seule puissance de ton esprit ne pouvait suffire à atteindre la vraie connaissance, lui dit l’oiseau. Il y fallait aussi ton cœur, ta chair, tes souffrances, tes joies. L’enfant qui vit en toi t’a sauvé, Mackam. S’il ne t’avait pas rappelé, tu serais entré dans l’éternité sans espérance, la pire mort : celle où rien ne germe. Brûle-toi à tous les feux, autant ceux du soleil que ceux de la douleur et de l’amour. C’est ainsi que l’on entre dans le vrai savoir.
L’oiseau s’envola. Mackam se leva et s’en fut lentement par les ruelles de son village. De-ci, de-là, devant des portes obscures brillaient des lumières. Près du puits, l’âne gris dormait, environné d’insectes. Sous l’arbre de la place, une chienne livrait son flanc à ses petits. Au loin, un chien hurlait à la lune. Pour la première fois, elle parut à Mackam comme une sœur exilée et il se sentit pris de pitié pour elle qui ne connaîtrait jamais le goût du lait et la chaleur d’un lit auprès d’un être aimé.
(Henri Gougaud, L’arbre aux trésors)
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